Belén Aquiso

17 ans
Gymnase de Nyon

Zeljko Sola

21 ans
ETHZ

Océane Corthay

18 ans
Collège Calvin, Genève

Lionel Tissot

17 ans
Gymnase Auguste Piccard, Lausanne

Mélanie Felix

17 ans
Gymnase de Nyon

Marko Vučetić

19 ans
UNIGE

Vladimir Michel

17 ans
Collège Claparède, Genève

Saskia Zibilich

19 ans
Collège Calvin, Genève


Samedi 23 avril

I'M NOT FROM HERE – L'éternel recommencement – Par Mélanie Felix

Une coproduction de Maite Alberdi, réalisatrice Chilienne, et Giedrė Žickytė, réalisatrice lituanienne. Un court métrage touchant qui relate les vieux jours de Josebe une femme de 88 ans, une espagnole immigré au Chili qui malgré son âge garde un discours dynamique quoique légèrement répétitif. Elle ne manque pas une occasion de parler, avec fierté, de ses origines basques et de sa ville natale; Renteria, là où elle a grandit, où elle a dansé ses premiers slows, où elle a rencontré son mari. La mémoire de Josebe semble s'effacer peu à peu ne gardant que les souvenirs d'une époque belle et lointaine de sa vie. Bien qu'elle ne se plaigne pas de la maison de retraite où elle vît, elle s'obstine à croire que cela n'est que temporaire, chaque soir elle attend que sa fille vienne la chercher, en vain. Les aides-soignantes tentent de raisonner subtilement Josebe, mais quand elle appelle sa fille, cette dernière lui rappelle sans détours qu'il est temps de se faire à sa situation. Chaque jour est comme un recommencement et cela fait ressembler sa vie à une sorte de cycle éternel.

On découvre une femme marqué par une époque et une ville, un film à la fois sur l'absence et la présence.

I'm not from Here a gagné le Sesterce d'or Fondation Goblet du meilleur court métrage de la Compétition Internationale
> Trailer de I'm not from Here
> Tout le Palmarès


Vendredi 22 Avril

L’île des possibles – En guise de conclusion – Par MARKO VUČETIĆ

« Une île est comme un doigt posé sur une bouche et l’on sait depuis Ulysse que le temps n’y passe pas comme ailleurs. » Ce que Nicolas Bouvier dit à propos de Ceylan est certainement vrai de Socotra, l’île légendaire au large du Yémen où la vie des hommes est marquée par des rythmes inaudibles à nos oreilles modernes. L’on se prend à rêver avec les anciens à ces îles, comme à des coffres abritant les derniers grains d’une humanité oubliée. 

Socotra, the Island of Djinns, magnifique film de Jordi Esteva, nous fond dans l’intimité d’un groupe de caravaniers traversant l’île de Socotra. Au fil du voyage, entre les arbres dragonniers et les pierres, nous nous familiarisons avec un peuple aux allures antédiluviennes, ses rites, ses techniques et, surtout, avec ses contes. Car ce dont raffolent ces hommes au sourire si large qu’il laisse s’échapper leurs dents, c’est bien de raconter, raconter des histoires, des mythes ; le soir au coin du feu devant une assemblée ravie, à un voyageur qu’on croise, à la caméra. Les légendes racontées se mêlent en nous aux images filmées, les chants des hommes à ceux des oiseaux. L’image en noir et blanc achève de donner une impression de symbiose entre la terre et les humains qui, drapés dans leurs tissus, semblent taillés dans la roche et dans la matière des contes.

Ce lien étroit, cette dépendance à la nature rude s’associe donc à un besoin de produire des histoires merveilleuses, de fantômes ou de bêtes monstrueuses. Les voyageurs se rappellent à chaque conte l’essence fondamentalement magique de la nature et du monde. Ils sont à l’écoute de ce que la terre a à dire, comme en témoigne le dernier plan du film où l’on entend un des caravaniers, debout au sommet d’une crête, enjoindre à pleins poumons la montagne à parler. Cette nature de l’île de Socotra, mystérieuse et atypique, semble d’ailleurs prédisposée à servir de base à la légende. Nos compagnons de route produisent des récits pour expliquer le monde, se rappeler de leur héritage et bien sûr exorciser leurs peurs, surtout celle de l’inconnu. Le mystère des femmes voilées les transforme en djinns maléfiques et nous ne serions pas étonnés si un de ces serpents géants qui peuplent les contes apparaissait au détour d’une montagne.

Ainsi, la fiction jaillit de la confrontation de l’homme avec la réalité. Le réel fait pousser le merveilleux dans nos cerveaux humains. C’est peut-être là que réside la force des films documentaires ; ils nous montrent un monde pas encore traité par le filtre de la fiction, un monde brut du point de vue du récit. Or ce que l’on observe, c’est que malgré tout, où que l’on regarde, aux quatre coins de la terre, il se passe des choses que nous considérons avec intérêt, qui excitent nos émotions et notre imagination et qui font vibrer en nous des cordes familières. Le cinéma du réel nous rappelle à chaque film que le monde est un faisceau d’histoires entrelacées qui n’attendent qu’un œil attentif et une voix habile pour être racontées.


Jeudi 21 Avril

Lieu d'étroites espérances – Par Saskia Zibilich

Une symphonie de voix désespérées criant à l'aide sans qu'on ne les remarque. Des hommes et des femmes remplis de regrets et forcés de constater que la vie qu'ils mènent séjourne à l'ombre de celle dont ils rêvent.

The Nine conte l'histoire déchirante d'un lieu de Californie qui semble être le fantôme d'une ville, plongé dans un monde de drogues et de prostitution. Refuge des membres brisés d'une société qui ne souhaite plus d'eux.

Kiki y vit. Cette jeune femme a vécu une rude enfance dont elle a douloureusement et subitement dû sortir pour affronter la réalité intransigeante de la vie d'adulte. Trop jeune, fragilisée par des événements marquants, elle se retrouve dans l'endroit des délaissés. Face à la misère, à des situations pénibles, ainsi qu'au dégoût d'elle même, Kiki ressent le besoin intarissable de se laver, frottant sa peau jusqu'au sang, mais également de se droguer ou de mentir aux autres pour ne pas avoir à constater, une fois de plus, l'amertume de son existence. Un personnage très généreux qui m'a beaucoup émue et dont les émotions et appels à l'aide ont réussi, m'a t-il paru, à traverser l'écran.

Kiki n'est pas seule dans cette situation. D'autres habitants arpentent ces rues ternes, nous voyons des genoux cagneux et des jambes maigres longer les voies ferrées, et rester accrochés à cet endroit qui semble le seul où ils ont leur place.

Le décor est à l'image de la misère ressentie par les protagonistes. C'est un univers de délabrement, où s'écoule une atmosphère pesante. La police retrouve un corps dans la rivière des alentours. Un homme confie avoir pensé à s'y suicider. Sur les rives trônent des meubles oubliés, sales, inutiles. 

On pourrait croire qu'une forme de solidarité saurait naître du désespoir collectif, mais là encore, l'attente semble vaine. Nous assistons ainsi à une conversation de deux personnes trop préoccupées par leurs propres soucis pour pouvoir écouter l'autre. Il en résulte finalement une discussion sans rencontre.

Mais au milieu d'un tel environnement, les habitants continuent malgré tout d'espérer et de rêver. Certains se retrouvent autour de la rivière fatale et parviennent à partager leur vécu. Ce lieu est à la fois celui de la vie et de la mort, du moins celui d'un repos parmi le tumulte de leur existence.
Les personnages rendent à l’œuvre toute sa beauté, atteinte à la fois par leur sincérité et leur espérance, bravant aussi bien la laideur que la vulgarité.

> Billetterie et trailer de The Nine

La Vie suit son Chemin – Par Zeljko Sola

Parmi ces films qui traitent de la mort, Calabria occupe une place bien particulière. Traitant de sujets tels que la mort, la vie, l’amour ou la famille, il nous met dans la confidence des deux protagonistes qui sans être des philosophes, discutent de façon profonde. Ces deux hommes engagent le long de leur parcours une discussion honnête et légère sans être décalée.

Malgré l’apparente morosité du sujet, le film apporte un souffle de vie par des scènes d’humour comme on peut en voir dans les caméras cachées. Ainsi, les situations semblent si naturelles qu’elles sont perçues comme familières par le spectateur.

En effet le voyage que vont mener les deux protagonistes dégage une forme de mystique. J’apprécie que le réalisateur ait réussi à apporter une dose de comique qui s’avére nécessaire afin de ne pas laisser transparaître une impression de récit moralisateur sur la Vie et la Mort. Ce sujet ne semble au final pas tant central à l’oeuvre que la proximité qui se crée entre les spectateurs et les “acteurs”.

En fin de compte, Calabria est à prendre à la légère. Le film sans être une fiction relate le voyage métaphysique tels les passeurs de l’enfer.

> Billetterie et trailer de Calabria


Mercredi 20 avril

Need for Meat – Une Addiction dévorante – Par Lionel Tissot

Marijn Frank signe un film à la fois plein d’humour et d’autodérision, mais aussi très poignant. Cette journaliste culinaire et mère d’une petite Sally, décide d’arrêter la viande après plusieurs tentatives infructueuses. Le but final est d’abattre une bête de ses propres mains pour s’accepter en tant que carnivore ou arrêter définitivement la viande.

Après un test neurologique, Marijn découvre que la viande lui fait plus d’effet que le sexe. Il s’agit en fait d’une réaction de dépendance. La réalisatrice décide de consulter une psychiatre et commence un stage de six semaines dans un abattoir bio.
La première confrontation à la mort d’une vache est un moment difficile. Marijn tremble comme une feuille et ne peut contenir ses larmes. C’est un des moments vraiment poignant du film. On ne voit d’abord que le visage de la jeune femme, puis vient la vache pendue que l’on égorge. Les deux jours qui suivent, la réalisatrice est incapable de manger de la viande.

Toutefois elle rencontre un très bon cuisinier qui a décidé de ne préparer que des races en voie d’extinction, comme la Gasconne. La démarche vise à préserver ces races. Ces bovins ne font pas partie du cercle vicieux de l’industrie, ils grandissent à leur rythme et prennent le temps de se constituer une bonne musculature, ce qui rend la viande d’excellente qualité. Grâce à la rencontre de ces vaches et la cuisine du restaurateur, Marijn retrouve le goût de la viande. Cette rencontre, montrée en plusieurs étapes, est peut être la solution pour l’avenir si l’humain parvient à diminuer sa consommation de viande.
Pendant son stage, la réalisatrice rencontre aussi des végétariens : un couple de retraités et un homme végétarien depuis 39 ans. Les deux retraités sont végétariens depuis l’enfance. Pour eux ce n’est pas juste un acte bénéfique pour la planète, mais un bienfait pour leur corps et leur esprit. Ils rappellent d’ailleurs que «un repas par jour végétarien reste un repas végétarien». Le troisième végétarien souhaite que le monde ait plus de compassion pour les animaux. Il ajoute que penser à nos enfants aide à faire le pas.

La jeune femme rencontre le professeur qui réussit à multiplier des fibres musculaires en laboratoire. Cette technique pourrait être la seule façon de se procurer de la viande si sa consommation continue d’augmenter. Mais cette viande quasi artificielle contient-elle tous les nutriments dont notre corps a besoin ? Est-ce vraiment bon pour la santé ? Il faudra un autre documentaire pour répondre à ces questions.
Après ces diverses rencontres et épreuves, Marijn nuance son opinion et modifie ses buts. Elle ne souhaite plus arrêter ou continuer de manger de la viande, mais veut diminuer sa consommation. Le second point important est qu’elle tient à ce que sa fille sache d’où vient la viande.

Le moment fatidique de l’abattage approche. La réalisatrice s’entraine avec une tête découpée. Une fois le maniement du pistolet à projectiles appris, elle se lance mais ne parvient pas à actionner le mécanisme lors de son premier essai. La seconde tentative est concluante, Marijn a réussi!
Les touches d’humour sont dispersées tout au long du film. On trouve notamment de l’autodérision, lorsque la réalisatrice s’imagine être à la place de la viande préparée par le jeune cuisinier ou lorsqu’elle dévore sensuellement un steak de bœuf.

Avec une excellente qualité d’image et de son, ce documentaire n’apporte pas une grosse masse d’informations, mais interpelle le spectateur et le pousse à la réflexion sur sa cohérence et sur sa responsabilité en tant que consommateur.

> Billetterie et trailer de Need for Meat

Blade & Beard à Visions du Réel 2016 – Par Vladimir Michel


Gulîstan, Land of Roses – Terre de contraste – Par Océane Corthay

Gulîstan, Land of Roses est l'histoire d'un contraste. L'histoire d'une humanité dans toute sa complexité.

Dans les montagnes du Kurdistan, un groupe de femmes du PKK combat l'Etat Islamique. Une dure et violente réalité quotidienne qui, paradoxalement, témoigne d'une certaine beauté humaine.

Soulignée par une photographie sublime, l'élégance de ces femmes dans leur tenue de combat semble se fondre dans la splendeur et l'immensité des paysages kurdes. Une harmonie à laquelle vient s'ajouter la beauté d'âme de ces guerrières, qui font de leur lutte contre Daech un combat idéologique motivé par leur amour de la liberté. Car c'est bien de cela dont il s'agit : plus qu'une guerre de territoires, c'est une guerre de valeurs que mènent ces jeunes femmes, dont notamment le refus de l'asservissement par les hommes. En effet, la place des femmes  au sein du PKK et leur engagement dans la lutte armée frappe et la noblesse de leurs sentiments étrangement dépourvus de haine impressionne.

Face caméra, un éclat de sagesse dans le regard, une once de folie dans la voix, la cheffe du bataillon nous livre sa perception de la situation, ses réflexions, sa relation à la mort et son attachement à l'idéologie qu'elle défend. Une idéologie qui rend belle, selon elle. Un portrait intime attachant, empreint de la sérénité qui se dégage de chacune de ses femmes.
Bien que le discours quelque peu dogmatique puisse surprendre, c'est avant tout la grâce et l'humanité de ces femmes, que la cinéaste Zaynê Akyol parvient à immortaliser avec finesse et sensibilité, qui retiennent toute notre attention et qui nous interroge quant à la nature  contradictoire de l'être humain.

Dans une sanglante réalité faite de mort et de combats, Gulîstan, Land of Roses nous ouvre les portes d'une terre inconnue, privilégiée, où la vertu semble dotée d'une étrange puissance. Une terre où fleurissent les roses.

> Billetterie et trailer de Gulîstan, Land of Roses


Mardi 19 Avril

A German Life. – par Belén Aquiso

«Dieu n'existe pas, mais le Diable sans aucun doute».
C'est par ces mots que Brunhilde Pomsel réussit à traduire toute l'horreur à laquelle elle a pu assister alors qu'elle était secrétaire du Ministre de la Propagande de l'Allemagne nazie, Joseph Goebbels.
Le problème, justement, est-là. Elle n'a pas pu ou peut être n'a pas voulu se rendre compte des conséquences des décisions qui étaient prises à quelques mètres d'elle dans le bureau de son patron. Elle et sa machine à écrire, celle sur laquelle les enfants d'un des pires criminels de l'Histoire jouaient lorsqu'ils venaient chercher leur papa pour manger.  

Ce documentaire, oscillant entre les anecdotes amusantes, traduit parfaitement l'état dans lequel se trouvaient probablement de nombreux allemands à l’époque. Ainsi que les images d'archive et témoignages personnels qui montrent brutalement les barbaries dont nous avons déjà tous entendu parler. Ce documentaire cherche alors à raconter, sans juger, l'histoire d'une femme aujourd'hui âgée de 104 ans. De comprendre comment une personne banale peut en arriver à une telle situation de déni.

Si nous étions à la place de Madame Pomsel aurions nous su ou pu agir différemment?
Telle est la question que nous posent les réalisateurs de "A German Life"  et à travers laquelle ils nous poussent, deux heures durant, à une réflexion profonde sur la culpabilité et la responsabilité personnelle de chaque membre de la société lorsque des atrocités pareilles sont perpétrées au nom de cette même société. C'est une question à laquelle nous aimerions tous et pensons tous pouvoir répondre positivement, mais le récit de cette femme qui, sans être une mauvaise personne, a pu se retrouver au coeur d'une des pages les plus tristes de l'Histoire de l'Humanité nous y fait réfléchir à deux fois.

> Billetterie et trailer de A German Life


Lundi 18 avril

Visions – par Saskia Zibilich

Comment décrire le festival Visions du Réel?

Lors de mon arrivée au festival, je me suis demandé pourquoi Visions du Réel s'écrivait au pluriel. Il m'a cependant suffit d'assister à deux projections pour que cette interrogation se transforme en une évidence ; les films proposés sont si divers qu'il paraîtrait impossible de tous les rassembler en une seule catégorie. Le documentaire est abordé sous différentes formes, provenant de la sensibilité de chacun/chacune des réalisateurs et réalisatrices.

Parfois, il s'agit de thèmes religieux, d'autres fois portés sur des conflits armés, quelques fois encore il est question de sujets relatant de ce que j'appellerais simplement le cours d'une vie. Le spectateur a l'opportunité de se glisser, le temps du film, entre deux pages de l'histoire d'une existence humaine où s'entremêlent défis et émotions. Mon sentiment sur le visionnage de ces multiples productions cinématographiques devient inévitablement l'impression d'une rencontre. A ma grande surprise, les documentaires, m'a-t-il semblé, n'expliquent souvent pas les situations, mais proposent un regard relativement neutre sur celles-ci, ce qui fournit indubitablement à notre esprit un large champ de réflexions et de questionnements.

Les documentaires n'exposent souvent pas de réponses ou d'éléments d'une certitude absolue. Le réalisateur filme mais ne commente pas, il s'inscrit dans un quotidien sans le critiquer, rend simplement compte d'une réalité, tout en préservant son authenticité.

Nous croisons dès lors par le simple moyen de la vue et de l'ouïe des chemins qui nous sont peu connus, voire inconfortables, que nous peinons parfois à comprendre au début, mais qui finissent toutefois par nous entraîner bien loin de nos habitudes, vers une existence tout autre, jusqu'à l'immersion presque totale de nos pensées dans ces vies si différentes des nôtres mais qui nous touchent, nous enveloppent de leur caractère humain.

La diversité des films se retrouve ainsi dans les sujets, dans la multitude de leurs provenances mais également dans les techniques cinématographiques utilisées. En effet, la caméra offre un nombre si conséquent de possibilités de représenter une vie que là encore, ce sont des visions d'une réalité auxquelles nous avons accès.

Le film Loves Me, Loves Me Not de Fabienne Abramovich est par exemple le travail de plans rapprochés qui nous permet d'appréhender une forme de familiarité avec les personnages tout en les écoutant parler du thème très personnel et intime de l'amour et de la conception qu'ils en ont.

Le film Triokala, the Three Gifts of Nature, du réalisateur Leandro Picarella, propose quant à lui des plans d'ensemble bien plus longs et fixes, donnant à voir des nuages lentement progresser dans le ciel, de l'eau qui coule, les feuilles des arbres qui bougent. En somme, l'inaction de la caméra face à l'activité de la vie. L'observation de l'existence devient alors évidente.

De plus, notons que les films offrent également, outre la fonction documentaire, une qualité artistique de grand niveau.

Comment décrire le festival Visions du Réel? Il me semble que la réponse se trouve dans la question ; il est indéniablement source d'une multitude de visions, recueil de diversité.

A Mere Breath – An unusual breath – par Océane Corthay

Un beau mélange de sentiments contradictoires. A Mere Breath de Monica Lazurean-Gorgan suscite la réaction dans toute sa complexité, à l'image peut-être de l'humanité qui nous est présentée ici. Aux travers de ce portrait des plus authentiques, la cinéaste nous propose une immersion dans le quotidien d'une famille roumaine croyante qu'elle a suivie durant sept ans et qui, confrontée aux coups durs du destin, nourrit une foi en Dieu inconditionnelle, absolue ; le chômage du père, la maladie de la plus jeune fille ne sont que le fruit de la volonté divine. 

La caméra n'est jamais intrusive, jamais subjective. C'est un regard empreint d'un profond respect que pose la réalisatrice sur ce microcosme qui semble émerger d'un autre temps, comme le fera remarquer un spectateur au sortir de la projection. En effet, difficile de rester indifférent.

Le film dérange, choque, surprend, mais émeut également. On sursaute un peu lorsque la cinéaste, devenue très proche de cette attachante famille, admet avoir du elle-même convaincre les parents, persuadés d'une guérison céleste à venir, d'emmener leur fille atteinte de spina bifida chez le médecin. Mais on est également touché par la sincérité des protagonistes, quelque part un peu admiratif de leur foi en la vie et ému par ces enfants devenus adultes qui tentent de se construire malgré un contexte familial plutôt oppressant. 

A Mere Breath nous ouvre les portes d'une réalité qui nous est quelque peu étrangère et nous pousse à considérer une perception de la vie différente de la nôtre. Une fenêtre ouverte sur un monde qui, tellement loin, tend à paraître absurde. Mais ne serait-ce pas le propre de ce festival et plus largement du film documentaire ? Tentons de comprendre, ou peut-être simplement de compatir, de changer notre vision du réel le temps de quelques minutes, pour en amadouer une autre. Comme un complément de notre réalité. 

> Billetterie et trailer de A Mere Breath
> Reprise de A Mere Breath 19.04, 12:15, Capitole Leone


Dimanche 17 Avril

Vox Usini – par Belén Aquiso

L’Usine, un lieu qui vit dans un monde parallèle à notre quotidien.

À la plus grande surprise d’une majorité des gens, c’est l’un des plus grands centres alternatifs et culturels autogérés en Europe.

On raconte alors la vie difficile que les gens mènent pour faire vivre ce lieu, pour le faire vibrer. De par ses tags recouvrant chaque parcelle des mur, des barmans complètement loufoques ou bien de la musique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, ce lieu devient un mélange de mystère et de magie. L’aura qui s’en dégage ne laisse personne insensible.

C’est un endroit où les gens clament haut et fort leur droits d’être eux mêmes. À l’Usine, on est qui on est et c’est tout.

Dans les années 80, les gens se plaignent et réclament des lieux pour se lâcher, des lieux pour faire la fête, pour se libérer de leurs sombre quotidien. Des endroits où les jeunes peuvent faire leurs expériences autre que dans la rue. Un endroit qui serait ouvert toute la nuit. Une association se crée alors: le groupe «État d’Urgences». Groupe de squatters, rebelles, non violents, mais qui ne capitulent pas, peu importe les ordres de l’Etat.

Ils organisent alors des « concerts sauvages », regroupant plus de 400 spectateurs, les événements se font de plus en plus fréquents, le groupe toujours plus homogène, et le bouche a oreille encore plus grand. Suite à d’âpres négociations, l’Usine est cédée en 1989. Plus qu’un endroit où l’on va juste boire des coups, c’est le coeur qui durant toute la nuit, garde Genève éveillée. 

Dans ce film, on nous fait entrer dans l’Usine de façon privilégiée, voir l’envers du décor. C’est une toute autre vision de spectateur que celle qui nous est habituellement offerte. Elle montre aux gens que malgré la mauvaise réputation de l’Usine, un immense travail de recherche se cache derrière cette ambiance totalement détachée de celle dans laquelle la société trouve le plus souvent son confort. Ainsi la réalisatrice cherche à nous montrer que, même si une personne arbore des tatouages dans son dos, cela ne la rend en aucun cas plus dangereuse que celle qui se rend au travail tous les jours en costard.

J’aime l’Usine, et avoir l’occasion de comprendre ce qui fait le lieu dans lequel on passe nos weekends est une expérience incroyable pour laquelle je ne peux que remercier Vox Usini.

> Billetterie et trailer

Les Histoires de Jeunesse – par ZELJKO SOLA

L’ambiance du Festival aujourd'hui, malgré la pluie est restée vivante et chaude. Les films auxquels j’ai assisté font un écho particulier à ma personne. En effet le programme d’aujourd’hui consiste en Tourizm!,The Cormorans et finalement Land of the Enlightened. Chacun des films propose son univers propre avec comme base commune un rattachement à la jeunesse, en Croatie, en Italie, et en Afghanistan. Dans chacune des locations la population à ses propres préoccupations. La beauté réside dans l’engagement et la force de vie des protagonistes. Le sourire dans les visages se voit, et se ressent. Et à plusieurs reprises, si la magie fonctionne, se transmet au spectateurs.

Dans le premier, une forme de mise en contexte de la question du tourisme de loisir en Croatie. Comme une remise en question mais sans critique saillante de la stratégie de séduction opérée par la Croatie pour attirer de nombreux “jeunes de tous les âges”. C'est aussi le partage de l’accueil chaleureux des pays balkaniques que j’ai pu ressentir au travers des nombreuses scènes joyeuses de ce moyen métrage.

Puis The Cormorants apparaît comme une ode à la jeunesse, le parcours d’été de deux jeunes garçons liés l’un à l’autre par les circonstances de leurs activités. Des plans plutôt statiques, posés, comme des tableaux, peints au rythme de la vie. La richesse des événements permet de se reconnaître dans les situations vécues par les jeunes, une proximité se forme alors.

Je n’ai pas assisté seul à cette projection et ma camarade est d’avis que ce rythme, celui de la vie, c’est-à-dire en prenant le temps, permet de mieux ressentir le moment présent partagé avec les protagonistes et l’attachement d’un garçon à l’autre en posant bien le cadre, comme pour s’y sentir habitué, dans lequel les faits se déroulent. Cela permettait aussi d’apprécier une dimension humoristique du film. Les scènes se passent dans la nature ou des zones industrielles, et ce contraste permet de mieux apprécier l'adaptation à leur milieu.

Finalement, un grand coup de coeur: Land of the Enlightened. En parlant de coeur, j’ai été  touché par ce film car il relate de la question de l’amour pendant la guerre, dans les situations de crises. L’histoire d’un jeune garçon qui essaie d’obtenir la main de la femme de sa vie mais n’a d’autre choix que de passer par la violence. Une mise en parallèle de l’Histoire de L’Afghanistan, ses rois et ses guerres et celle de ce jeune guerrier, qui doit non seulement conquérir un palais, mais surtout le coeur de sa tendre et bien-aimée. Il n’est pas le seul guerrier. Dans un pays envahi par des forces étrangères autrement plus puissantes, chacun essaie de trouver un moyen de s’en sortir et continuer à prospérer. Le mélange des scènes et des contextes est étonnamment bien réalisé par le jeune cinéaste belge qui en est à son premier film.

Ces moments d'identification chez les festivaliers participent à l’ambiance unique qui se dégage de films documentaires présentés à l’occasion du Festival. Et ce n’est pas terminé, il reste une grande liste de projections de qualité. Quant à moi, mon histoire m’amène à me préoccuper d’essayer de rester tant bien que mal au sec en évitant la pluie, tout en menant mon chemin pour retrouver mes camarades et continuer la journée autour d’une table ou sous un parapluie…


Samedi 16 avril

Filmer le capitalisme (d’)aujourd’hui – par MARKO VUČETIĆ

Le commerce dissout les frontières. Que ce soit pour l’exploitation des ressources naturelles ou des investissements, de plus en plus d’entreprises, s’installent dans des pays étrangers afin de faire des affaires. Les compagnies multinationales rivalisent de puissance avec les états et dictent leur loi, celle du profit. Les films Parchim International et Trading Paradise dépeignent deux pans complémentaires de cette réalité.

Parchim International suit le projet fou du riche investisseur chinois Jonathan Pang, celui de transformer le très modeste aéroport de Parchim au nord de l’Allemagne en l’une des plus importantes plaques tournantes du transport aérien européen. Le film joue avec un certain humour sur la confrontation d’un monde en pleine expansion, celui de la Chine et de ses nouveaux riches, et d’une vieille Europe lasse, presque blasée, celle des mélancoliques plaines de l’Allemagne du nord-est. Le bouillonnement de Pékin ou de Shanghai offre ainsi un contraste saisissant avec le calme des petits villages assoupis.

Pour M. Pang, ce projet représente l’accomplissement d’une vie. Il sillonne les continents à la recherche de soutiens pour son rêve, accompagné d’une armée de collaborateurs dynamiques et d’une petite musique qui lui donnent des airs de businessman mafieux. Or le véritable sujet du documentaire n’est pas l’accomplissement d’un projet pharaonique, mais bien le décalage entre les plans du richissime chinois et la réalité du terrain. Les ouvriers, désabusés, écoutent avec une certaine incrédulité amusée les promesses mirobolantes. Celles-ci ne semblent qu’un mirage, vues de l’ancienne tour de contrôle rafistolée où siège un inénarrable contrôleur aérien qui n’a pas grand chose à contrôler. 

Le film, qui se déroule jusque-là avec légèreté et ironie, parvient à nous émouvoir dans ses dernières séquences qui montrent une visite de M. Pang à son village natal. Remontent alors les souvenirs de la pauvreté qui n’est pas si loin, les émotions liées à la mort du père et à son enterrement auquel Pang n’a pas pu assister afin de ne pas perdre une opportunité quelque part en Afrique noire. Notre homme d’affaires si sûr de lui fond en larmes dans les bras de sa mère, qui, loin des ambitions de son fils, s’occupe toujours du champ familial. 

Trading Paradise est un film bien plus conventionnel mais tout de même capital qui dénonce les pratiques criminelles des grandes compagnies d’extraction minières s’installant dans les pays en voie de développement, et pillant la terre sans souci des hommes et de l’écosystème.

Toutes ces entreprises, qui produisent des matières premières à bas prix du Pérou à la Zambie, ont leur siège en Suisse. Le film dénonce l’impunité avec laquelle elles continuent leurs pratiques sous l’œil mi-clos du gouvernement fédéral et d’une grande partie de la population. Encore une fois, la recherche du bénéfice abolit les frontières et décide à la place des états.

Qu’elle soit bon enfant comme les caprices des millionnaires chinois ou cruel comme la pollution systématique engendrée par l’exploitation minière, la marche du capitalisme est aujourd’hui irrésistible. Tel l’investisseur Pang qui ne semble jamais devoir s’arrêter de courir, elle continue à avancer écrasant toute opposition sur son passage dans sa quête sans fin du profit.

Billetterie et trailer de Trading Paradise
> Reprise de Trading Paradise 17.04, 20:15, Théâtre de Grand-Champ
Trailer de Parchim International

Looking like my mother – Vision d'un vécu – par Océane Corthay

C'est une vision du réel toute particulière à laquelle nous invite Dominique Margot dans Looking Like my Mother. Un documentaire aux airs d'autobiographie,  une immersion dans l'intimité de la réalisatrice qui, à travers cet époustouflant long métrage, nous décrit son propre vécu, celui de son enfance marquée par ce qu'elle admet être aujourd'hui «le handicap» de sa mère, sa dépression. 

Un film sur la maladie psychique, oui, certes, et d'une perspicacité remarquable. Mais il me semble que c'est avant tout la nature d'un rapport mère-fille qui est ici explorée. Comme une enquête sur son passé, Dominique Margot nous propose une plongée dans ses souvenirs qu'elle relate avec une profonde sensibilité. De l'enfance à l'âge adulte, le regard de la fille sur la mère est mis à rude épreuve. La perception de la maladie évolue, entraînant avec elle de nouveaux sentiments et influençant sans doute la construction de l'identité de sa personne en proie à des questionnements légitimes: et moi, quel genre de mère vais-je être ?  

Aux travers d'archives familiales, de témoignages de proches, de mises en scène de sa propre enfance, la réalisatrice exprime, avec parfois même une certaine légèreté et une honnêteté notable, ses ressentis face à la situation ; l'incompréhension, la colère, la culpabilité mais aussi  l'amour et la tendresse qui reprennent tout à fait leur droit lorsque le spectre de la maladie disparaît avec la vie.  

Loin d'être attristant, Looking Like my Mother est une histoire touchante, un autoportrait  profondément humain, qui pose la question de l'origine, de l'héritage familial, de la construction d'un «soi» qui semble parfois indissociable de ses racines. Un bouleversement qui nous replonge dans nos propres souvenirs d'enfance.

> Reprise du film samedi 17.04, 10:00, Salle Communale
Billetterie et trailer de Looking Like my Mother


Vendredi 15 Avril

All Confession Œuvre – une réalité silencieuse – par Lionel Tissot

Voilà, le Festival Visions du Réel, c’est parti !
Seconde séance, seconde découverte.

All Confession Œuvre prend acte de la réalité des anciennes villes industrielles. Avec une absence de dialogue entre la caméra et les protagonistes, des plans fixes et un univers sonore porté sur les détails comme les bruits de pas ou les respirations saccadées, mais aussi le vacarme du train, le spectateur regarde, écoute et vit la projection. Comme l’a dit un des réalisateur après la projection, ce film peut être « regardé avec le casque et écouté avec les lunettes ». Toutefois cette œuvre reste relativement lente et silencieuse ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse.

Si ce documentaire est touchant, il est aussi sombre. Il montre une réalité quotidienne pas toujours facile à vivre. Les deux personnages principaux font le lien entre passé et présent. Le premier protagoniste est le dernier travailleur de l’usine vivant. On le voit se déplacer péniblement dans son appartement, se rendre sur la tombe de sa femme et aller à la piscine. Un quotidien ordinaire marqué par les stigmates de l’âge. Le second personnage principal est un père de famille qui vit avec sa femme et ses trois enfants dans un vieux camping-car. Ici c’est un quotidien moins commun ponctué par le nettoyage de la « maison » et la récupération du fer dans les décombres de l’usine.

On trouve aussi différentes communautés religieuses, un sans-abri et une architecture. L’architecture particulière est le cœur de ce documentaire car c’est bien de la relation entre les habitants et les bâtiments dont ce film rend compte. En ce sens cet état des lieux fait effectivement une cartographie socio-architecturale d’une réalité présente partout en Europe.

> Reprise du film samedi 16.04, 12:15, Capitole Leone
Billetterie et trailer de All Confession Oeuvre


Jeudi 14 avril

Jesus Town, USA: Le Jérusalem américain – Par Belén Aquiso

Festival local au retentissement mondial, voilà la première phrase décrivant le début de l’immersion au sein du festival, à l’occasion de l’avant-première de Jesus Town, USA.

Un film basé sur les croyances chrétiennes d’une communauté résidant à Holy City Of The Wichitas, une ville connue pour un spectacle annuel retraçant la vie de Jésus-Christ. On y découvre alors une Amérique profonde, une toute autre facette des images emblématiques que nous renvoient les célèbres métropoles américaines. Cela fait plusieurs années que le rôle de Jésus est joué par le même homme, il est désormais temps de donner une nouvelle chance à un habitant d’interpréter le rôle dont tous les gens rêvent secrètement. Zack, un homme d’environ une trentaine d’année, menant une vie d’une banalité effarante, participe à la pièce depuis de longues années, il décide alors de se présenter comme un nouveau Jésus potentiel. Il n’est ni le plus performant, ni le plus intelligent, mais Zack est motivé. Il devient alors si l’on peut dire, la nouvelle star de ce spectacle regroupant environ 400 personnes. Dans cette représentation qui est au final comme une grande affaire de famille, on découvre une communauté chrétienne plus soudée que jamais, travaillant durant une année pour être la fierté principale de leur région, l’Oklahoma.

Cependant Zack ne mène pas la vie d’un chrétien modèle, il ne va pas à l’église et n’est plus autant réceptif aux récits de Dieu, contrairement à son entourage. On comprend dès lors que le nouveau Jésus de Holy City n’a plus foi en le christianisme. Zack se trouve être bouddhiste. C’est alors plus qu’un récit sur la mise en scène d’un grand spectacle, c’est l’histoire touchante d’un jeune homme qui aurait des raisons d’être mal dans sa peau, de par son physique et sa divergence en matière de croyance, mais qui va assumer devant ce qui est sa grande famille, que sa différence n’empiétera en rien sur son rôle.

Dans cette reproduction d’un petit Jérusalem américain, on comprend à quel point des activités peuvent prendre une place immense dans la vie de certaines personnes. C’est l’histoire de comment va agir une communauté avec des valeurs bien précises, devant un fait qui semble être invraisemblable.

> Reprise du film samedi 16.04, 18:00, Théâtre de Grand-Champ
> Billetterie et trailer de Jesus Town, USA